SALONE DEL MOBILE MILANO 2022: Amine El Gotaibi | Beni Rugs | Colin King

Juin 7 - 12, 2022 

À propos de quelques histoires de laine éphémères

« On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. » — Héraclite

Présentée au Salone del Mobile 2022, l’œuvre d’Amine El Gotaibi prend la forme d’une installation immersive, en perpétuelle évolution. Elle est née d’une collaboration féconde entre l’artiste marocain et le studio Beni Rugs, installé aux abords de Marrakech. Ce projet est le fruit d’un langage esthétique partagé, de principes communs et d’un dialogue ouvert entre les traditions artisanales ancestrales du Maroc et une pensée contemporaine d’essence conceptuelle. L’artiste y engage une conversation intime et apprenante avec les tisseuses de Beni Rugs.

Plutôt que de répondre à l’invitation de Beni Rugs par une simple proposition décorative ou scénographique, Amine El Gotaibi a refusé toute approche unilatérale de la création. Il a ainsi convié les tisseuses à découvrir Visite (MCC GALLERY, 2021–2022), une exposition personnelle où figuraient notamment Perspective de brebis (2018) et Perspective de Séduction (2019) — deux œuvres fondatrices qui explorent la symbolique animale et la matière laineuse comme fil conducteur.

De fil en aiguille, El Gotaibi compose un portrait tissé de symboles collectifs et d’échos intimes, liant l’histoire d’un pays — et au-delà, d’un continent — à la vie quotidienne de ces femmes qui portent dans leurs mains la mémoire vive d’une terre numide lointaine. Tissant à leurs côtés une forme monumentale en laine naturelle, l’artiste célèbre la magie du geste artisanal tout en saisissant ce temps fluide qui nous échappe sans cesse.

À l’image du fleuve héraclitéen, l’œuvre d’El Gotaibi est un mouvement en devenir. Elle remonte le cours du Temps : les récits de ces femmes s’écoulent à travers les fils de laine, comme le sang dans les veines d’un corps unique et solidaire, comme les lettres et les anecdotes d’un corpus civilisationnel indivisible, en perpétuelle transformation.

Ici, tout s’écoule, mais rien ne change d’apparence : la laine naturelle voyage de l’atelier de production de Tamesluht (près de Marrakech) à l’espace d’exposition de Milan, avant de retraverser la Méditerranée pour regagner les montagnes de l’Atlas, symbole immuable de dignité et de résistance nationale.