L’exposition « Les Formes Muettes » donne à voir le début de différentes recherches photographiques qui se sont déployées en deux temps. Cette recherche a débuté à la suite d’un parcours de vingt-huit jours à pied dans le désert marocain (résidence itinérante KAFILA avec l’IFM, en 2023) et s’est poursuivie par un travail expérimental de plusieurs mois en laboratoire photographique noir et blanc.
Pour ces recherches, j’ai tenté de me détourner de l’appareil photo et de la prise de vue classique pour m’inspirer de techniques de photographie expérimentale. Ces méthodes, issues de recherches artistiques et scientifiques (agrandissement, transfert, contact, solarisation, embossage…), m’ont semblé pertinentes pour capturer les variations du vivant.
En plus de mon matériel photographique, j’ai emporté des rouleaux de calque et du papier carbone. Ces supports m’ont permis de faire des transferts de surfaces, de formes, de silhouettes et de textures, donnant naissance à la série Transferts. Ces gestes répétitifs, tout au long de la marche, ont tissé un lien physique avec les paysages traversés. Progressivement, j’ai compris que ce rouleau faisait office de bobine de film, enregistrant des gestes, suggérant une durée. Il m’a permis, en quelque sorte, de photographier sans appareil.
J’ai également collecté des matières organiques dont la transparence m’a permis, une fois en laboratoire, d’en observer les finesses et les subtilités. Par agrandissement, des formes et géométries inattendues sont apparues, comme le montre le diptyque Les Colonnes Jumelles. J’ai aussi ramené des pierres, témoins de phénomènes naturels, que j’ai explorées par le biais du volume. Un procédé d’embossage a permis au papier photosensible d’en épouser les reliefs. Exposés à la lumière, des formes étranges surgissent de ces papiers sur fond de paysages désertiques : ce sont les Proéminences.
Les Formes Muettes résonne avec mes interrogations sur les transformations des matières vivantes dans le temps et sur les mémoires qu’elles portent ou reflètent. Par le geste photographique, j’essaie de m’approprier ces éléments du paysage. En laboratoire, l’interaction entre la chimie, la lumière, le papier et le geste a généré des résultats inattendus, offrant de nouvelles pistes sur la matérialité du médium.
J’ai le sentiment que cette recherche prend ici une première forme tangible, et que toutes ces expériences sont liées par la notion de transfert. Par transfert, j’entends cette manière dont les éléments récoltés, enregistrés, photographiés se sont lentement transformés : du minéral à l’organique, du paysage au papier, du désert à la salle d’exposition. Cette exposition parle peut-être de ce déplacement des matières.
Houda KABBAJ